Aux origines de Prince Motors Co.

Aux origines de Prince Motors Co.

6 août 1945, l’histoire est connue de tous. A 08h15, Enola Gay, le B29 Superfortress de l’US Air Force, largue sur Hiroshima la bombe atomique Little Boy. Trois jours plus tard, le Japon encore sonné, un deuxième B29, le Bockscar largue à 10h59 sur Nagasaki la bombe Fat Man, mettant définitivement un terme à la guerre du pacifique et à la seconde guerre mondiale.

Durant la première partie du vingtième siècle et encore plus spécialement depuis les années 20, l’industrie japonaise tourne à plein régime pour soutenir l’effort de guerre, d'abord dans le cadre d'opérations d'agressions liées aux annexions des territoires voisins comme la péninsule de Corée, puis lors de la seconde guerre mondiale. Les usines sont alors réquisitionnées pour construire avions, bateaux, chars et autres armements, formant un complexe militaro-industriel. C’est entre autre le cas des constructeurs d’avions Nakajima (中島飛行機株式会社) et Tachikawa (立川飛行機株式会社). Nakajima est de loin le plus connu des deux en occident, à juste titre puisque ce sont eux qui ont conçu et fabriqué quelques uns des principaux appareils japonais jusqu’en 1945, notamment les chasseurs Ki-84 Hayate et Ki-43 Hayabusa. Tachikawa était pour sa part plutôt spécialisé dans les avions d’entraînement, les bombardiers légers ainsi que les petits transporteurs, comme le Ki-54.

Après la défaite et pour éviter tout éventuel regain d’hostilité, le Japon ainsi que son industrie sont mis sous tutelle du Commandement Suprême des Forces Alliées (Supreme Commander of the Allied Powers, SCAP) par les Etats-Unis. Celui-ci est dirigé par le général Douglas MacArthur, qui ordonne en août 1945 le démantèlement du complexe militaro-industriel. Les activités des entreprises le composant sont ré-orientées vers les applications civiles. Nakajima devient à cette occasion Fuji Sangyo (富士産業).

Le mot d’ordre est clair, favoriser l’industrie dans un pays où tout est à reconstruire, tout en évitant formellement le développement d’une nouvelle industrie militaire. L’automobile s’impose alors comme une évidence, d’autant plus que comme partout ailleurs, les besoins en mobilité des japonais se montrent de plus en plus importants.

Tachikawa se tourne également vers le civil et se spécialise rapidement dans la fabrication d’automobiles électriques, le rationnement du carburant en vigueur dans l'immédiat après-guerre favorisant ce type de motorisation. Dans cette optique, en juin 1947, la société change de raison sociale et devient la Tokyo Electric Motorcar Company (東京電気自動車). C’est cette même année qu’est lancée sur le marché la Tama ES-47, petite voiture 2 portes mue par un moteur électrique de 4.5 chevaux alimenté par des batteries au plomb de 36 volts. En novembre 1952, forcée de constater le manque de rentabilité et de performance des motorisations électriques en comparaison de leurs concurrentes thermiques, Tokyo Electric Car Company, entre temps devenu Tama Electric Motorcar Company (たま電気自動車) d'après Tama, le nom de la localité où se situe l'usine, lance la commercialisation de son premier modèle thermique après deux ans de développement. Pour l’anecdote, cette date aurait coïncidé avec l’investiture du prince héritier Akihito (l’ex empereur Heisei, père de l’actuel Reiwa). En hommage à ce dernier, elle nomme sobrement la voiture Prince Sedan et l’entreprise change une dernière fois de nom en 1952 pour devenir la Prince Motor Company (プリンス自動車工業株式会社).

Durant les même années et parallèlement à Prince, puisant dans son expérience de l’aéronautique et dans son stock de pièces détachées d’avions, L'ex Nakajima, Fuji Sangyo met sur le marché en juin 1946 son premier scooter, le Rabbit. Inspiré du scooter Powell de l’US Army, de conception simple et robuste et de fabrication peu coûteuse, il a pour vocation de remettre sur la route le peuple japonais.

Quelques mois plus tard, en août 1946, le SCAP ordonne la dissolution des conglomérats, dont Fuji Sangyo. La société est scindée en douze entreprises, dont cinq d’entre elles se regrouperont plus tard en juillet 1953 pour créer Fuji Heavy Industries (富士重工業株式会社), encore existant à ce jour et plus connue pour être la maison mère de Subaru, rebaptisée Subaru Corporation (株式会社SUBARU) en 2017.

Celle de ces douze entreprises qui nous intéresse aujourd’hui est Fuji Precision Industries (富士精密工業), regroupant les usines de Suginami et Hamamatsu. Il se trouve que Prince Motors Co. est cliente de cette dernière, chez qui elle se fournit notamment en moteurs. Le 10 avril 1954, la boucle est bouclée, Prince Motor Co. et Fuji Precision Industries fusionnent sous le nom du second.

C’est en 1957 que Fuji Precision fait la présentation du premier modèle de ce qui allait devenir la vedette de sa gamme, la Skyline. De nom de code ALSI, cette berline cossue dessinée en interne par Takuya Himura et rappelant les standards américains de l’époque est motorisée par un quatre cylindres en ligne (GA-30) de 1,5 litres développant 60 chevaux. Elle a en ligne de mire la référence du segment, la Toyopet Crown du géant rival Toyota.

Deux ans plus tard, en 1959, une extrapolation plus luxueuse de la Skyline fait son apparition, la Gloria (BLSI). Celle-ci devient un modèle à part entière, de vocation plus haut de gamme, avec son quatre cylindres en ligne culbuté de 1.9 litres (GB-30) développant 80 chevaux. A grand renforts de chromes et autres artifices éprouvés sur les productions américaines, la Gloria trouve tout de suite sa clientèle auprès de la haute société japonaise, en demande de véhicules plus statuaires sans pour autant devoir se tourner vers des véhicules d’importation hors de prix et à la disponibilité confidentielle. Un exemplaire est même offert au prince héritier Akihito à l’occasion de son mariage avec la princesse Michiko.

Fuji Precision Industries se profile dès l’or comme un incontournable de l’industrie japonaise renaissante face aux (déjà) géants Toyota et Nissan, lesquels affirment de plus en plus leur domination. La gamme de Prince est alors supervisée par deux personnages de poids : Ryoichi Nakagawa, ancien de Nakajima, et Jiro Tanaka, ancien de Tachikawa, assurant respectivement les postes de d’ingénieur en chef et designer en chef.

En 1960, Prince présente au salon automobile de Turin la très élégante Skyline Sport, nom de code BLRA-3. Dessinée en Italie par Giovanni Michelotti et assemblée à la main dans l’usine de Mitaka, elle trône au sommet de la gamme. Elle est cependant équipée du même moteur GB-4 de 1.9 litres et 94 chevaux que l’on trouve sur les Skyline et Gloria du même millésime. Le style est caractéristique et n’est pas sans rappeler quelques autres productions du designer de l’époque, notamment la Lancia Flavia. Si seulement une soixantaine d’exemplaires sont fabriqués, cet élégant coupé est un jalon important de l’histoire de Prince et de la Skyline puisque c’est le premier modèle à se focaliser sur le sport et le premier coupé, ouvrant la porte aux futures versions 2000GT, GT-B et GT-R.

Nakagawa est promu directeur général en 1961. Comme vous l’aurez compris les changements de nom sont monnaie courante dans l’industrie japonaise d’après-guerre. C’est donc en février de la même année que Fuji Precision Industries change une ultime fois de raison sociale pour (re)devenir définitivement la Prince Motor Company.

La Gloria se voit renouvelée quelques mois plus tard, en 1962 avec pour nom de code S40. A cette occasion la parenté avec la Skyline est totalement rompue, la Gloria repose à présent une plateforme dédiée. Elle est motorisée par un quatre cylindres en ligne G-2 de 1.9 litres produisant 94 chevaux. Sous le code S41, elle est équipée du premier six cylindres en ligne à arbre à cames en tête fabriqué en série au Japon, le G-7. D’une cylindrée de 2 litres, il développe 100 chevaux. De conception moderne, les suspensions avant sont indépendantes et l’arrière reçoit un pont De-Dion. L’offres de carrosserie évolue également, avec au choix une berline ou un break. Dès 1964, elle devient également disponible avec le moteur G-11, version revue du G-7 dont la cylindrée a été portée à 2.5 litres et le taux de compression a été élevé pour une obtenir une puissance de 134 chevaux. Cette version prend le nom de code S44, alors que la même année les motorisations quatre cylindres sont abandonnées sur la Gloria,

Le rythme frénétique des mises à jour des modèles suit son cours et l’automobile japonaise arrive à une vitesse phénoménale à égaler en qualité, robustesse et performances les fabrications occidentales.

En 1963, tout juste après la Gloria S40, la nouvelle génération de Skyline est présentée sous le code S50. Tout comme la Gloria, elle est aussi pour la première fois disponible en berline et break, s’installant encore plus comme le modèle versatile de la gamme. Les motorisations vont du modeste quatre cylindres G-1 (S50) au puissant six cylindres G-7 (S54), et même pour la première fois, une motorisation diesel avec le quatre cylindres D-6 (S56). Le choix entre la transmission manuelle à quatre vitesses manuelle ou trois vitesses automatique est également proposé. Ces caractéristiques la mettent en concurrence directe avec la Datsun Bluebird 410 et la Toyota Corona T40.

Le sommet de la gamme S50 est occupé par la 2000GT, nom de code S54. Sortie de l’esprit brillant d'un autre ingénieur de génie, Shinichiro Sakurai, elle est équipée du G-7 doté de trois carburateurs Weber, produisant la puissance respectable de 165 chevaux, pour lequel il a au passage été nécessaire de rallonger l’avant de la caisse de trente centimètres. En version compétition, le poids est en dessous de la tonne, ce qui en fait une machine redoutable, posant les bases de ce qui allait faire la réputation de la Skyline en compétition. Les Skyline engagées en catégorie GT-II au Grand Prix du Japon de 1964 font forte impression en finissant deuxième et sixième au classement final, la course ayant été remportée par non moins qu’une Porsche 904 d’une écurie privée.

En regardant côte à côte une Skyline S54 et une Porsche 904, un constat apparaît évident. Si la Skyline dispose d’une motorisation et d’une mise au point châssis exceptionnelle, elle n’en reste pas moins une berline de nature peu agile avec un essieu arrière semi-rigide. La Porsche 904 est quand à elle une pure sportive, légère, racée, aérodynamique et conçue pour la course. Il n’en faut pas plus aux ingénieurs de Prince pour faire le rapprochement. Pourquoi ne pas construire une voiture réunissant les qualités des deux concurrentes ? A savoir, une motorisation 6 en ligne maison, dans un châssis a moteur central aérodynamique et performant.

Pour ceci les ingénieurs font ce qu’ils ont toujours fait de mieux, récupérer et améliorer, tout en travaillant avec les pièces et ressources disponibles. La base choisie est un châssis Brabham BT8 sur lequel est posé une carrosserie fabriquée en interne, intégralement en aluminium. Au niveau moteur, les ingénieurs mettent au point une évolution du G-7 spécialement adapté pour la compétition. Dénommé GR-8, il développe 200 chevaux et est alimenté par trois carburateurs Weber 42. La boîte cinq vitesses vient de chez Hewland. Le poids total en ordre de marche ne dépasse pas les 660 kilos. La R380 est née. La formule semble gagnante, tandis que Prince et le Japon tiennent désormais leur première vraie voiture de course.

Le Grand-Prix du Japon de 1965 étant annulé, Prince en profite pour peaufiner la voiture et au passage lui faire battre quelques records du monde de vitesse. Le véritable baptême de la R380 se fait donc une année plus tard au 3e Grand-Prix du Japon, se tenant à Fuji en 1966. Quatre voitures y sont engagées par Prince. C’est un succès énorme, les Porsche 906 sont battues et la R380 n°11 pilotée par Yoshikazu Sunako prend la première place. Pour ne rien gâcher, la seconde R380 termine à la deuxième place avec Hideo Oishi à son volant. L’histoire est faite, pour la première fois une voiture développée et construite au Japon parvient à vaincre une voiture étrangère. L’engouement est phénoménal. Prince bat encore quelques records de vitesse et vend les R380 à des clients privés pour passer au développement de la succession, la R381.

Pendant ce temps, dans le monde des affaires, les choses bougent énormément. En 1965, devant le constat de la multiplicité de constructeurs automobiles plus ou moins viables et afin d’éviter un effondrement par effet domino, le gouvernement japonais ordonne la réduction du nombre de ces derniers, en passant par des fusions et regroupements, encouragées ou forcées.

C’est ainsi que Prince Motors Co. fusionne avec Nissan en août 1966. Tout comme à l’époque de la fusion avec Fuji Precision Industries, le nom de Prince disparaît, mais cette fois-ci pour de bon. Nissan intègre à sa propre gamme les modèles de Prince : Skyline, Gloria, mais aussi le minivan Homy et un projet de petite citadine destinée à concurrencer la Toyota Corolla et la Nissan Sunny, qui deviendra la Nissan Cherry. Nissan reprend également à son compte toute l’expertise de Prince en matière de course automobile et les récent succès de la R380.

Cette manœuvre est certainement la meilleure opportunité que Nissan ait réalisé de son histoire, car c’est Prince et ses ingénieurs qui permettront à Nissan de devenir ce qu’il est devenu dans les années qui suivront. De l’ingénierie aéronautique, les équipes de Prince auront développé et appliqué leurs connaissances des alliages légers, de la conception de coques, des moteurs à haut rendement, jusqu’à s’imposer à la fin des années soixantes comme une référence du domaine. Nissan récupère également dans les cartons le projet quasiment finalisé de la prochaine génération de Skyline (C10), avec notamment l'impressionnante première GT-R (PGC10), équipée du six cylindres en ligne S20, dérivé du GR-8 de la R380 (nous en re-parlerons).

L’assimilation se fait à la japonaise, sans heurts et efficacement. Prince est noyé dans la masse, devenant une division du géant Nissan. Les équipes continuent notamment de travailler sur les lignées Skyline et Gloria, et apportent leur expertise sur d’autres modèles et sur la compétition, dont la descendance de la R380 qui continuera de limer les pistes du monde entier pendant quelques années. Les concessions de Prince au Japon sont rebaptisée Nissan Prince Store (日産・プリンス店) et conserveront ce nom jusqu’en 1999, date à laquelle elles seront rebaptisées Nissan Red Stage (日産・レッド&ブルーステージ) avant d’être refondues suite à l’alliance avec Renault.

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