Motorex, une histoire américaine

Motorex, une histoire américaine

La douloureuse tentative d'importation des Skyline GT-R R34 aux Etats-Unis

Ce n’est désormais plus un secret pour personne, les icônes de la production japonaise des années 90 ont atteint le statut de graal pour une importante part des passionnés d’automobile de moins de 40 ans.

Une population dont nous faisons partie et qui a été abreuvée durant toute l’enfance et l’adolescence par les rares fenêtres ouvertes sur le marché domestique japonais qu’étaient Gran Turismo, Shutokou BattleSega GT ou Racing Lagoon sur les consoles de salon, tout comme Initial D ou Wangan Midnight sur papier, en fansubs et dans les salles d'arcade. D’autres le furent par des moyens moins glorieux, comme l’embarrassante série Fast & Furious au cinéma, ou le très bling bling Need for Speed Underground. Il a fallu attendre quelques années et la massive démocratisation d’internet pour voir apparaître les premiers sites spécialisés sur la scène automobile japonaise, comme 7tune ou bien après, Speedhunters.

Au final chacun son background, mais les faits sont là et un véritable culte s’est installé progressivement. J'utilise le terme culte à dessein, car comme dans tout culte, il y a une grosse part de fantasme. Ceci a été attisé par le côté inatteignable de ces voitures d’une part (quoi de plus attirant et formidable que ce que l’on ne peut obtenir ?), par leurs réelles qualités et performances d’une autre (même si souvent très exagérées), mais aussi pour certains par l’expression d’un profond besoin d’aller à l’encontre de la génération boomers ayant depuis toujours dénigré la production japonaise, ne jurant que par les marques de l’establishment avec lesquelles ils ont eux-même grandit : Porsche, Ferrari, Lamborghini, Mercedes, BMW. Un bon vieux conflit de générations en somme, rien de bien nouveau.

Pourquoi cette introduction au parfum de digression ? Peut-être parce que c’est toujours un plaisir de casser du sucre sur le dos de Fast & Furious ou des boomers, mais surtout pour mettre en avant la problématique suivante : une fois atteint l’âge adulte et une situation financière stable, comment faire pour se procurer un de ces joyaux tant convoités depuis l’enfance ? Il ne suffit malheureusement pas, comme dans Gran Turismo, d’aller dans le quartier des concessionnaires asiatiques, et d’acheter une Nissan Skyline BNR34 GT-R V-Spec Nür (Millenium Jade pour moi) contre quelques modestes crédits gagnés le week-end précédent à la Sunday Cup. Il faut en effet se plier à la délicate et compliquée procédure d’importation directe depuis le Japon, procédure sur laquelle allons aujourd’hui nous pencher aux Etats Unis.

Un petit rappel s’impose sur le climat global du marché gris aux Etats-Unis. En effet bien avant Donald J. Trump et ses velléités protectionnistes, l’état fédéral des Etats-Unis a mis en place le célèbre 25 Years Ban. Définit dans le Code of Federal Regulations, article 591.5, il stipule que :

§591.5   Declarations required for importation.

No person shall import a motor vehicle or item of motor vehicle equipment into the United States unless, at the time it is offered for importation, its importer files a declaration and documentation, in a paper or electronic format accepted by U.S. Customs and Border Protection, which declares one of the following :

(…)

(i)(1) The vehicle is 25 or more years old.

En somme, interdiction formelle d’importer de manière isolée tout véhicule dont la mise sur le marché remonte à moins de 25 ans. Nous ne nous étendrons pas sur le sujet, mais il est bien évident qu’il s’agit d’une mesure visant à protéger les acteurs du marché automobile indigène de l’invasion de produits étrangers pouvant mettre à mal les chiffres de vente des production locale. A noter que ceci est indépendant des restrictions d’importations spécifiques à chaque état, notamment au sujet des émissions.

Dans cette optique, l’importation légale des sportives japonaises des années 90 fut pendant très longtemps compromise, puisque ce n’est qu’à partir de 2014 que les premières Nissan Skyline R32 (sorties en 1989) purent être importées et homologuées en toute légalité sur le sol américain (faisant au passage grimper la côte de manière absolument scandaleuse). Naturellement, certains petits malins se risquèrent tout de même à l’importation illégale de ces voitures avant leur 25 ans. En effet si cette dernière n’est pas interceptée à la douane, elle peut tout à fait être immatriculée sans autre contrainte dans certains états, comme la Floride par exemple, où les immatriculations sont souvent gérées par des entreprises privées, moins sérieuses et moins regardantes. Les moins chanceux étant rattrapés par les services douaniers et devant finalement subir la démolition pure et simple du véhicule en question, des amendes conséquentes, de la prison et une interdiction définitive d’importer quoi que ce soit (comme le montre le cas jurisprudence de Kendall Noble, condamné à 36 mois de mise à l’épreuve et 18’000$ d’amende en 2014, après avoir illégalement importé une Nissan Silvia S15 de 2001) . C’est dans ce climat global que certaines personnes se sont mises en tête d’importer, homologuer et vendre légalement sur le marché américain des Skyline GT-R au début des années 2000. Cette histoire assez méconnue du grand public (surtout en Europe) est celle de l’entreprise Motorex, à ne pas confondre avec son homonyme, le fabricant suisse d’huiles de moteur.

Motorex trouve son origine avec son fondateur, Hirohaki Nanaoshi, un jeune ressortissant japonais natif d’Osaka installé en Californie, dont le gagne pain est l’exportation vers le Japon de véhicules américains dont la demande est forte dans le début des années 90 sur l’archipel. Le gros de ses exportations est composé de minivans, de SUV et autres hot-rods ou customs. Ambitieux, Nanaoshi ne met pas beaucoup de temps pour réaliser la manne que représenterait son modèle d’affaire dans l’autre sens, à savoir importer des véhicules du marché domestique japonais aux Etats-Unis. Cependant, le yen est encore trop élevé et le 25 Years Ban rend toute importation directe impossible. La solution arrive finalement avec  la chute des marchés asiatique de 1998 et l’effondrement de l’indice Nikkei. Le yen se dévalua fortement et l’exportation vers le Japon perdit par la même occasion toute rentabilité. A l’inverse, il était enfin possible d’acheter au Japon pour des sommes quasi-dérisoires. L’idée mature alors de non plus seulement procéder à l’importation et la vente, mais d’assurer la conversion et l’homologation complète des véhicules aux standards fédéraux, en devenant de ce fait un importateur reconnu. Nanaoshi magouilla quelques prêts avec des associés et fonda dans cette optique la société GT Autohouse, laquelle fut très vite renommée Motorex.

Dès cet instant, Motorex s’inscrivit comme importateur officiel auprès du Department of Transportation (DOT), l’autorité des transports américaine. Successivement sont lancés en fin 1998 les premiers crash tests visant à l’homologation de la Skyline GT-R R33. Curieusement, ce n’est pas sous ce nom que l’homologation sera demandée, mais sous le nom de 1999 A.I. Craft GTR 2 Door. Pour des raisons pratiques et économiques, l’ensemble du crash test nécessaires à l’obtention de la certification du DOT est sous-traitée à diverses sociétés spécialisées dans l’homologation de véhicules européens pour le marché US.

Afin de passer les crash-tests avec succès, quelques ajustements durent être faits, notamment le rabaissement des renforts de portières. Dans la foulée, Motorex obtint l’approbation des émissions de gaz d’échappement de la part de l’EPA (Environmental Protection Agency) après l’installation de trois catalyseurs supplémentaires, valable également en Californie, état le plus draconien sur le sujet. La première homologation fut délivrée le 15 novembre 1999. Pendant ce temps, le hangar se remplissait de Skylines et faisait rêver les passionnées qui se succédaient ne serait-ce que pour pouvoir voir de leur propres yeux l'objet de tous leurs désirs enfin sur le territoire américain.

Malheureusement, selon des propos rapportés par un ancien employé de l’entreprise, il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour que le modèle d’affaire de Nanaoshi montre ses limites et sa très faible rentabilité, notamment à cause des très faibles qualités de gestion de ce dernier. Avec seulement deux ou trois voitures par mois vendues pour la plupart moins de 50’000$, ce n’était pas suffisant pour couvrir les salaires des employés, les charges, mais surtout le goût prononcé de Nanaoshi et ses associés pour les boîtes de strip-tease et les bars à hôtesses. De plus, contre toute attente, la demande pour les R34 ne suit pas, à tel point que la majorité des voitures vendues sont des R32 et R33, moins chères et donc avec des marges réduites. Il y avait également la possibilité d’acheter sa propre voiture au Japon et de laisser Motorex s’occuper de l’importation et mise en conformité, mais là encore Motorex ne facturait que 16’000$ à ses clients. Il faut aussi ajouter à cela un processus horriblement long et manquant cruellement de suivi de la part de Motorex. En effet, une fois importée, la voiture était transportée chez les différents sous traitants s’occupant des nombreuses modifications à apporter pour la mise en conformité. Un dossier était constitué, récapitulant toutes les modifications apportées, et envoyé au DOT. Celui-ci s’assurait ensuite que les modifications correspondent avec leur accord passé avec Motorex et délivrait finalement le bond (titre de propriété du véhicule, équivalent à une carte-grise) permettant l’immatriculation du véhicule. Au cours de tout ce processus long et compliqué, il était courant que Motorex perde de vue l’état d’avancement du processus  des voitures, rendant compliqué le suivi auprès de la clientèle, laquelle ne tarda pas à perdre patience.

C’est précisément à ce moment que tout a basculé et s’est effondré. Exaspérés d’être régulièrement éconduits et de subir le manque d’information et les retards, de nombreux clients ont entamé des actions collective à l’encontre de Motorex, par le biais d’avocats ou à travers la commission d’enquête du DOT. Afin de pouvoir honorer ses commandes et surtout pour faire rentrer du liquide qu’il dépensait plus vite qu’il le gagnait, Nanaoshi commença à vendre les voitures sans avoir reçu les papiers du DOT, et même plus grave, à le vendre sans même les avoir modifiées, autrement dit, à vendre des voitures non conformes avec l’accord passé avec le DOT. Suspectant l’entourloupe, ces derniers ralentirent encore plus le processus de délivrance des papiers à Motorex, aggravant encore plus la situation pour Nanaoshi.

En novembre 2005, le DOT annula la capacité d’importation de toutes les Skyline, à l’exception des modèles de 1996 à 1999, avant de finalement signifier à Motorex la révocation totale de son statut d’importateur si cette dernière n’était pas à même d’argumenter et défendre le contraire. L’enquête de la commission révéla que 17 Skylines avaient été vendues à des clients sans papiers en règle, dont un certain nombre sans même avoir été adaptées. Face à de telles révélations, le statut d’importateur de Motorex fût définitivement révoqué en février 2006.

Parallèlement à ceci, deux faits divers de vols de voitures du stock de Motorex ainsi que le tabassage en règle d’un ancien associé de Nanaoshi impliquant ce dernier attira l’attention de la police. L’inspecteur en charge du dossier commença alors à tracer les voitures volées et leurs propriétaires, notamment par le biais de forums internet, afin de comprendre la réalité des faits derrière ce massif trafic de véhicules importés. Après de longues recherches, il parvint à localiser toutes les voitures, à l’exception de deux.

A l’issue de cette affaire, de manière assez extraordinaire, le DOT consentit à délivrer les papiers aux propriétaires des Skylines non conformes vendues par Motorex, même pour celles n’ayant pas du tout été adaptées. Ce furent les seules Skyline GT-R  (à l’exception des C10) importées légalement aux Etats-Unis avant l’éligibilité des R32 en 2014. Les R33 sont éligible depuis 2018, et les R34 le seront depuis 2023. Pour cette raison, lorsque l’une d’entre elle est en vente, le prix est quasiment astronomique. Selon le site GTR Registry, il resterait entre 14 et 16 R34 sortant de Motorex actuellement, dont 10 sont répertoriées dans leur registre.

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